Laura Ingalls Wilder. Une vie dans la Prairie

Laura & Almanzo en Floride (1891-1892)

Laura et Almanzo en Floride (1891-1892) — Photo originale revisitée par le Studio Royaume

Une fois n’est pas coutume, Dépaysage met cap au sud et franchit la frontière du Canada ! Nous venons de lancer une campagne pour financer la publication, dans tout l’espace francophone (France, Belgique, Luxembourg, Québec, Suisse), de la première biographie historique de Laura Ingalls Wilder, l’autrice de La Petite Maison dans la prairie.

Écrit par la meilleure spécialiste américaine de l’œuvre de Laura Ingalls, Caroline Fraser, le livre a paru aux États-Unis en 2017 et a reçu l’année suivante le fameux prix Pulitzer.

Le propos est centré sur la vie de Laura Ingalls Wilder et sur l’aventure éditoriale de son texte, dans laquelle Rose, sa fille, une libertarienne avant l’heure, tient une place primordiale. Il est également question, tout au long du livre, de l’histoire passionnante de la colonisation des Grandes Plaines, c’est-à-dire de l’installation des « pionniers » et des « pionnières » sur des terres dont les habitant·e·s, les Amérindien·e·s, sont progressivement chassé·e·s. Cette biographie nous fait prendre conscience de la distance factuelle entre la série télévisée et la réalité vécue par la famille Ingalls, mais Laura et son double littéraire y gagnent beaucoup en humanité.

De la pop cultureLa Petite Maison dans la prairie ? Assurément, mais pas seulement : à la base de la série télévisée, il y a des livres vendus à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde. Et jusqu’aujourd’hui, nous ne connaissions ni leur autrice ni leur contexte d’écriture. Il est donc temps de dévoiler au lectorat francophone la véritable histoire de Laura Ingalls Wilder, si tant est que nous parvenions à publier le livre. À notre échelle en effet, c’est un très gros chantier. Et malgré le soutien du Centre national du livre et de l’agence régionale Occitanie Livre et Lecture – ce qui souligne l’intérêt du projet -, nous n’avons pas la capacité de financer les coûts de production.

Afin de mieux maîtriser les dépenses, notamment celles liées à la traduction, à la composition et à l’impression, nous avons privilégié une souscription plutôt qu’une cagnotte. Après de fastidieux calculs, nous avons pu établir un premier palier de vente à 900 exemplaires ; c’est à cette seule condition que le livre pourra voir le jour.

Nous espérons que ce projet de grande envergure vous séduira et que nous aurons votre soutien pour aller de l’avant.
La première photo connue des sœurs Ingalls en 1879. De gauche à droite : Carrie, Mary et Laura
Lettre de Laura
Chef Sioux Dakota Little Crow en 1858
Des "pionnières" devant leur cabane en terre crue dans le Nebraska, en 1886
Une famille de paysans en 1866
Laura et Almanzo dans le bureau d'un journal local, le De Smet News, en 1939
Une famille de paysans dans le Nebraska en 1887
Pow wow cheyenne dans le Montana en 1891
Maison occupée par Laura Ingalls Wilder à Mansfield (Missouri) de 1896 à son décès

Traduction intégrale de l’introduction

 

Par une journée printanière d’avril 1924, Laura Ingalls Wilder, une femme de cinquante-sept ans mariée à un fermier des monts Ozarks, dans le Missouri, reçoit un télégramme envoyé du Dakota du Sud. Sa mère, Caroline Ingalls, vient de mourir ; elle ne l’a pas revue depuis plus de vingt ans.

Quelques semaines plus tard, encore sous le choc, elle rédige une note destinée à la chronique régulière qu’elle tient dans une gazette locale. Toute femme ayant perdu sa mère y reconnaîtra l’ombre de la tristesse, des regrets et de la nostalgie dévastatrice qui envahit alors la vie de Laura : « Certains d’entre nous ont déjà reçu ce genre de message, dit-elle sobrement. Pour les autres, cela viendra un jour1. » Soudain, tout devient trop dur à supporter : « Ah, les souvenirs ! écrit-elle. On passe sa vie à les accumuler, qu’on le veuille ou non ! Parfois je m’interroge : sont-ils nos trésors célestes, ou bien les feux éternels du tourment que nous portons en nous avant de les transmettre à notre tour2 ? »

Quel aveu inattendu pour une femme d’une petite bourgade du Missouri connue de ses voisins comme étant posée, réservée, voire effacée, et qui, soudain, se révèle tourmentée par des souvenirs à la fois chéris et subis ! L’idée d’être hantée jusqu’à la fin de ses jours par les images de personnes et de lieux qu’elle ne pourrait jamais oublier l’accable : « Ils sont avec nous pour toujours », écrit-elle, presque sans parvenir à y croire3.

Enfants, nous pensions la connaître. Elle était l’authentique petite fille de pionniers capable de survivre aux feux de forêts ou de prairies, aux tornades, à la malaria, au blizzard ou à une famine dans les Grandes Plaines nord-américaines à la fin du XIXe siècle. Elle était la garçonne fière et sans concession qui, une fois adulte, deviendrait l’autrice des célèbres ouvrages retraçant sa vie : La petite maison dans les Grands Bois, Un enfant de la terre, La petite maison dans la prairie, Au bord du ruisseau, Sur les rives du lac, Un hiver sans fin, La petite ville dans la prairie, Ces heureuses années. Elle était la femme dont les histoires inspirées de faits réels se vendraient à plus de soixante millions d’exemplaires dans quarante-cinq langues différentes et s’incarneraient dans les années 1970 et 1980 dans l’une des séries les plus longues et les plus regardées de l’histoire de la télévision, encore diffusée de nos jours !

Adultes, nous avons découvert que ses romans autobiographiques étaient non seulement une œuvre de fiction, mais aussi un récit initiatique, brillamment édité dans un élan mythique typiquement américain. À mesure que manuscrits, lettres et autres documents jusqu’alors inconnus se révélaient au grand public, nous avons petit à petit pris conscience de l’étendue du spectre de sa vie.

Cette histoire se doit d’être racontée dans sa globalité et replacée dans son contexte historique, c’est- à-dire celui de la vie de Laura Ingalls Wilder. Car ce récit est différent de celui qu’elle nous a raconté. C’est une histoire pour adultes, qui parle de pauvreté, de lutte et de réinvention ; un formidable drame américain qui se déroule en trois actes.

Le lever de rideau sur le troisième acte de sa vie est tardif. À cinquante-sept ans, Laura est encore loin de la figure emblématique de l’histoire des pionniers qu’elle est appelée à devenir. La femme dont la vie se confond avec la colonisation de l’Ouest américain a passé la majeure partie de sa vie d’adulte dans le sud du pays. Elle n’est pas encore célèbre, n’a pas encore écrit le moindre livre et ses publications se résument à ses chroniques dans un périodique agricole. Anxieuse et nerveuse, elle est régulièrement sujette au même cauchemar, dans lequel elle se voit arpenter un « long et sombre sentier » menant à des bois ténébreux, le chemin de la pauvreté4.

Elle est fière de ses compétences inégalées en matière d’élevage de volailles et de la tenue irréprochable de sa maison. Elle s’inquiète que la perspective de donner le droit de vote aux femmes puisse ouvrir la voie à un certain laxisme moral. Pur produit de la vie rurale, elle sait néanmoins s’en tenir à distance pour remettre en cause les corvées rigides liées aux tâches ménagères en vigueur au début du XXe siècle. Elle conseille ainsi aux femmes d’abandonner l’éreintant rituel du grand nettoyage de printemps.

Dotée d’un caractère bien trempé et d’un humour pince-sans-rire, elle peut souligner tranquillement certaines ressemblances entre un enclos à cochons et les propriétaires des bestiaux en question. Sa propension à porter des jugements sur autrui ne l’empêche pas d’être humble, voire de se dénigrer facilement. Économe à l’excès, elle s’habille cependant avec grande élégance pour se rendre en ville : jupes amples, cols en dentelle et chapeaux garnis de plumes ou de fleurs. Elle a un faible pour les longues boucles d’oreilles et attache ses chemisiers avec une broche camée. Et elle raffole du velours.

Elle est intelligente sans pour autant être une intellectuelle. Si elle n’est pas allée au bout de ses études secondaires, elle a toutefois étudié avec passion et persévérance l’Independent Fifth Reader, un célèbre manuel de lecture et d’élocution. Elle connait une chanson pour chaque occasion et peut citer des passages entiers de Shakespeare, Longfellow, Tennyson, Scott, Swinburne, ou encore Elizabeth et Robert Browning. Ses livres occupent une place de choix dans son salon, sur les étagères faites maison qui jouxtent sa chère cheminée en pierre.

À l’approche de ses soixante ans, elle est à un moment charnière de son existence, dont le premier acte est désormais loin derrière elle. Son enfance a été remplie de drames et d’incidents en tout genre, sorte de condensé de la vie des pionniers américains : rencontres avec des Indiens, prairies en feu, blizzards… En grandissant, les biens qui lui appartiennent se comptent sur les doigts d’une main : une timbale en fer-blanc, une ardoise pour l’école, un ruban pour ses cheveux, une poupée confectionnée par sa mère et quelques vêtements et paires de chaussures passées de sœur en sœur, une belle robe pour les dimanches, une autre pour les autres jours de la semaine.

Elle s’est mariée à dix-huit ans et, un an plus tard, elle est devenue mère. À vingt et un ans, elle sait déjà que tout ce qu’elle a jamais possédé, quel qu’ait pu en être le prix, peut disparaître à tout instant. Après une série de catastrophes, Laura et son mari quittent le Dakota pour échapper à la pauvreté et tout reconstruire sept cents miles plus au sud5. C’est le deuxième acte de sa vie. Elle prend des pensionnaires et travaille comme serveuse. Paralysé par une neuropathie survenue alors qu’il est âgé d’une vingtaine d’années, son mari a suffisamment récupéré pour pouvoir travailler comme livreur de fuel et de marchandises. Leur fille Rose qui, encore adolescente, a quitté le foyer, s’installe à San Francisco et se spécialise dans la rédaction de biographies de célébrités. Prenant conscience de la facilité qu’elle a à gagner sa vie en vendant aux lecteurs des expériences inspirantes de personnages qui, comme elle, « se sont faits » tout seuls – Henry Ford, Jack London ou Herbert Hoover –, elle encourage sa mère à se mettre à écrire à son tour. Laura Ingalls Wilder deviendrait ainsi l’une de ces self-made women tant admirées par sa fille.

Le troisième acte de sa vie la voit traverser la Grande Dépression en entreprenant de consigner, au moyen d’un crayon à mine tendre, sur des blocs-notes achetés à l’épicerie, les souvenirs de son enfance, l’histoire de ces fermiers6 involontairement à l’origine du Dust Bowl7, la région où elle vit à l’époque.

Elle se replonge alors avec douleur dans le siècle précédent. Avec obstination, elle reste éveillée des nuits entières, et se remémore les infortunes familiales, les récoltes anéanties, sa sœur qui tombe malade et devient aveugle. Si survivre à ces années avait pu être vécu comme une punition, les revivre est un déchirement : « C’est l’enf… », écrit-elle à sa fille, à qui elle avait appris à ne jamais jurer8.

Un jour, Rose note une citation qu’elle attribue à sa mère : « Je ne sais ce qui est le plus déchirant, un rêve inachevé ou un rêve devenu réalité9. » Elle va l’aider à réaliser un rêve, lui faire profiter de ses contacts professionnels, polir son travail et ajouter une touche de sécurité confortable à la dure réalité de la vie. Mais toujours va prévaloir la vision stoïque et ferme de la petite fille de pionniers qu’a été sa mère.

La persévérance de Laura Ingalls Wilder a donné vie à l’une des plus extraordinaires réussites de l’histoire de la littérature américaine. Au seuil de ses vieux jours, craignant de tout perdre dans la Grande Dépression, Laura a revisité son enfance sur la Frontière pour en faire un récit épique et enthousiasmant. Sa réécriture tendre et triomphale de la vie de ces homesteaders a convaincu plusieurs générations que la ferme à l’américaine était un modèle d’autosuffisance. Cependant ce récit a permis d’entrevoir la complexité de la colonisation fermière, laissant entendre que cette dernière a brisé davantage de vies qu’elle n’en a nourries.

Alors qu’elle a passé la majeure partie de sa vie dans la pauvreté, Laura a réussi à vivre suffisamment longtemps pour connaître la fortune et devenir une légende de la littérature pour enfants et une incarnation chérie de la ténacité américaine. Toutefois, la célébrité obscurcit autant qu’elle révèle. Noyée dans un sentimentalisme quasi religieux, perçue à travers le prisme pâle et trouble du marketing attaché à son mythe, Laura Ingalls Wilder est devenue une caricature, une marque, un produit. Outre la série télévisée, La petite maison a donné lieu à une multitude d’adaptations sur papier, à l’écran – dont un anime japonais – et à tout un fatras de recueils de chansons, d’œuvres dérivées, de livres de recettes de cuisine et de forums sur Internet. On a même commercialisé sous licence des poupées, des vêtements, des tissus et, bien évidemment, des chapeaux semblables à ceux portés par la petite Laura de la série.

La vraie Laura Ingalls Wilder n’est pas une caricature. Son histoire, qui s’étale sur quatre-vingt-dix années, est plus vaste, plus étrange et plus sombre que ses livres et contient des pans entiers de vie qu’elle n’abordait qu’avec difficulté. C’est ce qu’elle laisse entendre lorsqu’elle écrit : « Je n’ai rien dit que la vérité, mais ce n’est pas toute la vérité10. »

La vérité apparaît lorsqu’on considère Laura Ingalls Wilder dans un contexte historique plus large. Son histoire, c’est l’histoire d’une époque, bien présente dans ses livres mais sublimée par le charme et l’immersion dans un monde d’enfants. La mise en perspective de la vie de Laura Ingalls Wilder avec des mouvements épiques tels que le Homestead Act, l’expansion du chemin de fer ou la fermeture de la Frontière, nous montre à quel point la dépression économique et la catastrophe environnementale ont poussé les colons trop avant dans les Plaines, combien la peur de se faire massacrer a pu guider les agissements des squatteurs11, et dans quelle mesure les dettes et les épisodes de sécheresse ont conditionné les hauts et les bas de la vie des fermiers.

Laura Ingalls Wilder a marqué l’histoire. En dissimulant les thèmes qui lui étaient chers sous un emballage parfaitement innocent, en une sorte de cheval de Troie narratif, elle a révélé, par l’entremise de réactions complexes et ambiguës, le poids du destin, de la nature sauvage, de l’autonomie et des changements dans l’évolution des rôles des femmes en dehors du foyer. Ses livres ont ainsi exercé une influence plus grande, sur une portion plus importante de la société, que la thèse de Frederick Jackson Turner selon laquelle la conquête de la Frontière par les colons aurait façonné la démocratie américaine. La place que ces livres occupent dans la culture américaine continue d’évoluer. Concomitamment aux déportations des peuples autochtones, la vie de Laura Ingalls Wilder et sa re-création constituent une expression persistante et une critique larvée des doctrines américaines les plus strictes. Laura Ingalls Wilder est ainsi devenue l’une des incarnations majeures à l’aune desquelles on mesure l’importance de ce que furent les pionnières américaines.

Selon les mots de la romancière Hilary Mantel, « souvent, pour évoquer la vie d’une femme dans l’histoire, il nous faut déformer l’histoire, ou substituer la fiction aux faits ; il nous faut prétendre que certaines femmes étaient plus importantes qu’elles ne l’étaient ou que l’on en sait davantage sur elles que ce que l’on en sait réellement12. »

S’agissant de Laura Ingalls Wilder, nul besoin de prétendre : peu d’œuvres ont eu un impact aussi grand que la sienne, même en considérant les versions expurgées. Elle a façonné et inspiré nombre de femmes et d’hommes politiques à travers les décennies : héritier des droits et de la fortune tirée de la série littéraire La Petite Maison dans la prairie, Roger MacBride a été candidat à présidence des États-Unis pour le parti libertarien ; Ronald Reagan a pleuré à la Maison-Blanche en suivant les aventures de son ami Michael Landon et de son brushing impeccable dans une version revisitée à la sauce californienne des rudes valeurs pionnières vantées par Laura13 ; La Petite Maison dans la prairie est le seul livre qu’aurait lu, enfant, Sarah Palin, si l’on en croit sa famille14 ; quant à Saddam Hussein, il est réputé avoir été un grand fan de la série télé14.

Mieux encore que ces cautionnements plus ou moins flatteurs, les écrits de Laura Ingalls Wilder ont eu une influence subtile sur plusieurs générations d’écoliers et d’écolières : La Petite Maison dans les Grands Bois et La Petite Maison dans la prairie figurent dans le top 20 des meilleures ventes de livres pour enfants de tous les temps établi par le magazine Publishers Weekly16. Si John Steinbeck est devenu le porte-voix des lamentations du Dust Bowl et Woody Guthry le troubadour anarchiste de cette époque, Laura Ingalls Wilder demeure la championne incontestée de la vie simple. Elle a érigé la pauvreté en fierté et montré à ses lecteurs combien l’obstination pouvait être héroïque. Animée d’une pureté digne des shakers17, elle a célébré chacun des jours où elle s’est trouvée à l’abri, chaque flambée dans l’âtre, chaque bouchée de la plus modeste des nourritures. Ce n’est pas un hasard si ses livres parlent d’une « petite » maison. Mais ils parlent aussi de tirer le meilleur parti d’une nourriture rare ou de choix de vie modestes.

Comparée à la réalité, la légèreté relative des histoires racontées par Laura s’explique en partie par l’adoration qu’elle vouait à ses parents. Chacun de ses mots s’ancre dans la satisfaction tirée des plaisirs simples qu’elle a découverts grâce à eux : une chanson, un tapis de fleurs des champs, un plancher impeccablement balayé. En montrant aux petits Américains qu’on peut être pauvre sans en avoir honte, elle a conquis l’abondance matérielle, et contribué par là même à la construction de son propre mythe.

1856. Une famille arrive en chariot bâché sur la Frontière, dans l’extrême ouest du Wisconsin. De « sympathiques Indiens » leur ont parlé d’une « vallée fertile semblable au jardin d’Éden » non loin du Mississippi. Le récit de leur arrivée semble tout droit sorti de la Genèse : « La vision qui s’offrit à eux au matin était magnifique. Pas de doute, cela devait être ce jardin d’Éden dont leur avaient parlé les Indiens. Ce n’était alors qu’un petit coin de nature sauvage, à distance de toute route et de toute construction. Les arbres y étaient nombreux ; l’un d’eux, encore debout il y a quelques années dans le jardin de la ferme, était celui sous lequel la famille avait établi son camp jusqu’à l’érection de leur première maison de rondins18. »

Ils s’appelaient Eva et August. C’étaient mes arrière-arrière-arrière-grands-parents. Ils avaient acheté un lopin de terre dans le comté de Buffalo, à une cinquantaine de miles à vol d’oiseau de l’endroit où la famille Ingalls s’installerait quelques années plus tard. Ils étaient arrivés avec leurs quatre enfants et leur chien, mais le chien s’était enfui pour retourner à Muskego. L’acte de concession de propriété de leur parcelle portait le nom du président Andrew Johnson.

L’une de leurs filles s’appelait Caroline. J’ai hérité de son prénom et de sa courtepointe : un champ blanc couvert de fleurs, une multitude de pousses roses et jaunes émergeant de tiges vertes entrelacées fixées par des milliers et des milliers de minuscules points d’une régularité impeccable. Alors qu’en 1871 Caroline était attelée à sa fabrication, non loin de là, la petite Laura Ingalls vivait ses jeunes années.

Une vieille photo réunit quatre générations de ces femmes du Wisconsin – Eva, Caroline, Della et Marion – serrées les unes contre les autres devant un champ de maïs. Flash sépia de visages lointains et pâles. Personne n’a jamais raconté le reste de leur histoire. Qui étaient réellement ces gens ? Que sont devenus les « sympathiques Indiens », et la nature sauvage, et la ferme, et la famille ? Qu’est devenu le chien ? Qu’est devenu le « jardin d’Éden » ?

Dans le silence d’un placard, la courtepointe de Caroline garde ses secrets. Laura Ingalls Wilder, elle, n’a oublié ni ses courtepointes, ni ses histoires. Et dans une entreprise tardive mais héroïque, elle a en a fait don à l’humanité. Avec la patience exacerbée que lui a apprise sa mère en lui montrant comment confectionner une courtepointe de neuf pièces, elle a pris un crayon et s’est mise à écrire. Elle a écrit ce dont elle se souvenait. Ce dont elle voulait se souvenir. Et à celles et ceux d’entre nous qui voudraient comprendre la colonisation de la Frontière, elle propose un voyage, peut-être le meilleur qui soit, vers le passé.

 

Notes

1. Laura Ingalls Wilder, « As a Farm Woman Thinks », Missouri Ruralist, 1er juin 1924.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Laura Ingalls Wilder à Rose Wilder Lane, 17 mars 1939, dans William Anderson (éd.), The Selected Letters of Laura Ingalls Wilder, New York, Harper, 2016, p. 194.
5. Le mile (ou mille, en français) est une unité de longueur utilisée aux États-Unis qui représente 1,6093472 kilomètre. (Note du traducteur.)
6. Homesteaders : colons devenus propriétaires d’une terre agricole en vertu du Homestead Act de 1862. Signée le 20 mai 1862 par Abraham Lincoln, cette « loi de propriété fermière » permettait à toute personne âgée de plus de 21 ans – y compris les femmes et les esclaves affranchis – de revendiquer la propriété de l’une des parcelles de terre loties à cette fin, typiquement d’une superficie de soixante-cinq hectares, en vue de l’améliorer et de la cultiver. (Note du traducteur.)
7. Dust Bowl (« bassin de poussière ») : nom donné à la région des Grandes Plaines couvrant une partie du Texas, de l’Oklahoma et du Kansas affectée, dans les années 1930, par une série de tempêtes de poussière provoquées notamment par le surlabourage agricole des terres durant plusieurs épisodes de sécheresse extrême. (Note du traducteur.)
8. Ibid., 5 février 1937, p. 110.
9. Rose Widler Lane Papers ; Herbert Hoover Presidential Library, Rose Wilder Lane Papers, Diaries and Notes Series, item n° 6, non paginé.
10. Laura Ingalls Wilder, « Speech at the Book Fair, Detroit, Michigan, October 16, 1937 », dans Laura Ingalls Wilder, The Little House Books, 1, annexe, p. 588.
11. De l’américain squatter, nom donné aux personnes qui occupaient des terres sans droit légal de propriété. (Note du traducteur.)
12. Hilary Mantel, « Royal Bodies », London Review of Books, 35, 4 (21 février 2013), p. 6.
13. Michael Kramer, « When Reagan Spoke from the Heart », New York Magazine, 21 juillet 1980, p. 18.
14. Monica Davey, « Little-Noticed College Student to Star Politician », New York Times, 23 octobre 2008.
15. Alison Arngrim, Confessions of a Prairie Bitch : How I Survived Nellie Oleson and Learned to Love Being Hated, New York, HarperCollins, 2010), p. XII. C’est l’actrice Jayne Meadows, mariée au comédien Steve Allen, qui a confié à Angrim que Saddam Hussein était un grand fan de la série : voir Gayle MacDonald, « Whoa Nellie », Globe and Mail, 16 juin 2010.
16. Voir, par exemple, « All-Time Bestselling Children’s Books », un classement établi par Diane Roback et Debbie Hochman, dans Publishers Weekly, 17 décembre 2001. Chacun des neuf volumes figure individuellement sur la liste des meilleures ventes de livres de poche jeunesse, dont sept dans les cinquante premiers titres. Le volume qui s’est le plus vendu, Little House on the Prairie [La Petite Maison dans la prairie], New York, Harper & Brothers, 1935, figure à la 12e place, avec 6 172 525 d’exemplaires vendus ; Little House in the Big Woods [La petite maison dans les Grands Bois] arrive à la 13e place, avec 6 140 525 exemplaires vendus. Si l’on en croit les calculs établis en 2001 par l’hebdomadaire Publisher’s Weekly, le total des ventes de livres de Laura Ingalls Wilder parus en édition de poche a atteint, en 2001, les 37 615 483. À cette date, les ventes de livres en éditions reliées sont dominées par les ouvrages illustrés tels ceux du Dr. Seuss, et par l’œuvre de J. K. Rowling.
17. Branche du protestantisme quaker née au XVIIIe siècle dans le nord-ouest de l’Angleterre et exportée aux États-Unis. (Note du traducteur.)
18. Mrs. Dean Helwig, « The Helwigs’ First Hundred Years in Buffalo County », Mondovi Herald News, non daté.